INTRODUCTION
L’Entretien Cognitif (EC ; Fisher & Geislman, 1992), une technique d’interview développée dans le cadre psycho-légal, permet d’améliorer la qualité du témoignage des victimes et des témoins en favorisant l’imagerie mentale grâce à plusieurs principes. Il a été récemment montré que l’administration préalable d’un EC améliore la spécificité avec laquelle un souvenir autobiographique est relaté, sans que l’EC ne porte sur le souvenir en question (Madore, Gaesser, & Schacter, 2014). La spécificité est mesurée par la quantité de détails spécifiques produits qui reflètent les informations « épisodiques » : ce qu’il s’est produit durant l’événement, les individus présents, quand et où cela s’est produit. Ce phénomène est qualifié d’Induction de Spécificité Épisodique (ISE). Les processus ciblés par l’ISE demeurent toutefois inconnus. Parmi les pistes envles propriétés perceptuelles des objets (e.g. l’apparence d’une armoire) ; 2) et l’imagerie de type spatial, qui correspond à la capacité à imaginer les relations spatiales entre les objets (e.g. l’emplacement de l’armoire dans un salon). Les individus utilisant préférentiellement l’imagerie mentale visuelle de type spatial (mesuré par l’Object Spatial Imagery Questionnaire ; OSIQ ; Blajenkova, Kozhevnikov, & Mote, 2006) sont significativement gênés par la présentation simultanée d’un masque visuel dynamique (MVD) perturbant l’imagerie mentale visuelle lorsque les individus doivent se rappeler les détails de vidéos représentant des événements de la vie réelle ayant été préalablement mémorisées (Sheldon, Amaral, & Levine, 2016). Objectif de la recherche : déterminer quel type d’imagerie mentale visuelle est ciblé par l’ISE, en fonction des différences interindividuelles en matière d’imagerie mentale visuelle d’un échantillon de jeunes adultes, et par l’utilisation d’un MVD perturbant l’imagerie mentale visuelle.isagées, l’imagerie mentale visuelle jouerait un rôle essentiel. On en distingue au moins deux types : 1) l’imagerie de type objet, qui désigne la capacité à imaginer les propriétés perceptuelles des objets (e.g. l’apparence d’une armoire) ; 2) et l’imagerie de type spatial, qui correspond à la capacité à imaginer les relations spatiales entre les objets (e.g. l’emplacement de l’armoire dans un salon). Les individus utilisant préférentiellement l’imagerie mentale visuelle de type spatial (mesuré par l’Object Spatial Imagery Questionnaire ; OSIQ ; Blajenkova, Kozhevnikov, & Mote, 2006) sont significativement gênés par la présentation simultanée d’un masque visuel dynamique (MVD) perturbant l’imagerie mentale visuelle lorsque les individus doivent se rappeler les détails de vidéos représentant des événements de la vie réelle ayant été préalablement mémorisées (Sheldon, Amaral, & Levine, 2016). Objectif de la recherche : déterminer quel type d’imagerie mentale visuelle est ciblé par l’ISE, en fonction des différences interindividuelles en matière d’imagerie mentale visuelle d’un échantillon de jeunes adultes, et par l’utilisation d’un MVD perturbant l’imagerie mentale visuelle.
MÉTHODE
Trente-cinq étudiants (Université Lumière Lyon 2, 28 femmes) de langue maternelle française (âge$_{ moyen}$ = 21,54 $\pm$ 2,03) ont participé à l’étude. Les participants ont complété l’OSIQ afin de mesurer leur score d’imagerie mentale visuelle de type objet et de type spatial. La procédure de l’étude se découpait en deux segments identiques à l’exception du matériel employé, et de la condition effectuée. Chaque segment se découpait en trois phases :
Phase d’encodage. Vingt vidéos (env. 15 sec) représentant des scènes de la vie quotidienne servaient pour cette phase. Ces vidéos ont été sélectionnées pour contrôler la présence de femmes et d’hommes et le nombre de scènes filmées en extérieur et en intérieur. Les participants visionnaient 10 vidéos précédées chacune d’un titre (e.g. “Barbecue en famille”) présenté audio-visuellement. Chaque couplage titre-vidéo était vu deux fois successivement afin d’optimiser l’encodage. L’ordre de présentation des vidéos était contrebalancé à travers les participants.
Phase d’induction. Deux vidéos (env. 5 min) représentant les échanges de 3 hommes et 3 femmes servaient pour cette phase. Les participants visionnaient une des vidéos, complétaient une tâche occupationnelle pendant 5 minutes, puis étaient interrogés sur le contenu de la vidéo par un EC (condition ISE), ou invités à compléter des exercices mathématiques (condition contrôle). L’EC utilisé était une adaptation en français de celui employé par Madore et al. (2014). L’affectation des conditions et la présentation des vidéos étaient contrebalancées à travers les participants.
Phase de récupération. Cinq MVD employés dans l’étude de Sheldon et al. (2016) servaient pour cette phase. Les titres des vidéos présentés à l’encodage étaient aléatoirement re-présentés aux participants. Après chaque titre, les participants devaient décrire de la manière la plus détaillée possible et à voix haute la vidéo associée au titre en fixant un écran où était affiché aléatoirement un MVD ou un écran contrôle. Une fois la description signalée comme terminée par le participant, un autre titre s’affichait pour une autre description. Les descriptions étaient enregistrées puis transcrites. Chaque détail produit était codé comme spécifique ou non-spécifique de manière indépendante par deux expérimentateurs selon la méthode développée par Levine, Svoboda, Hay, Winocur, & Moscovitch (2002). Pour chaque type de détail, la moyenne des scores relevés par les deux expérimentateurs était retenue.
Il était attendu que le MVD perturbe les bénéfices engendrés par l’ISE sur la production de détails de type spécifiques, en tenant compte de la variance en termes de capacité d’imagerie mentale visuelle mesurée par l’OSIQ. Précisément, l’impact du MVD sur l’efficacité de l’ISE devait être lié aux différences interindividuelles en termes de capacité d’imagerie mentale visuelle de type spatial.
RÉSULTATS
Une analyse de variance (ANOVA) a été conduite sur les détails spécifiques avec le type d’interférence (MVD vs. Contrôle) et le type d’induction (ISE vs. Contrôle) en tant que variables intra-sujets, ainsi que les scores spatial et objet mesurés par l’OSIQ en tant que covariables, étant donné que l’effet perturbateur du MVD serait modulé par les capacités d’imagerie mentale visuelle (Sheldon et al., 2016). L’analyse révèle que l’interaction double Interférence ✕ Induction ✕ Score objet n’est pas significative ($F(1, 32) = 2.51, p = .12, \eta^2 = 0.05$), tandis que l’interaction double Interférence ✕ Induction ✕ Score spatial est significative ($F(1, 32) = 5.98, p = .02, \eta^2 = 0.13$), comme l’interaction simple Interférence ✕ Induction ($F(1, 32) = 5.64, p = .02, \eta^2 = 0.12$). La décomposition de l’interaction simple en analyse par paire révèle que le nombre de détails spécifiques produits en condition Interférence Contrôle est significativement plus important après l’ISE qu’après l’IC $(t(34) = 2.59, p = .01, d = .44)$. Cette différence n’est plus significative en condition Interférence MVD ($t(34) = 1.33, p = .19, d = .23$).
DISCUSSION
Les résultats indiquent qu’un MVD interfère avec l’effet positif de l’ISE sur la production de détails spécifiques. En outre, cette interaction est modulée par les capacités d’imagerie mentale visuelle des participants, plus précisément selon le type spatial. Ces données sont cohérentes avec celles rapportées par Sheldon et al. (2016) et soutiennent l’idée que l’ISE ciblerait préférentiellement l’imagerie mentale visuelle de type spatial. Ce type d’imagerie mentale visuelle est particulièrement important dans la récupération d’informations relatives aux contexte spatial de l’événement à rappeler. Conformément à l’hypothèse de l’échafaudage spatial (Robin, Wynn, & Moscovitch., 2015), l’efficacité de l’ISE reposerait sur l’amélioration de l’accès à ces informations spatiales, conduisant à une meilleure reconstruction du contexte spatial, et favorisant subséquemment la récupération des détails spécifiques de l’événement à rappeler. Les résultats rapportés permettent de renforcer l’idée que les informations sur le contexte spatial jouent un rôle crucial dans la remémoration de souvenirs autobiographiques, et permettent également d’améliorer la compréhension des processus ciblés par l’ISE. Ces résultats offrent également des perspectives d’adaptation de l’ISE au sein d’un protocole de stimulation cognitive à destination des personnes qui présentent une spécificité réduite, telles que les personnes âgées.
RÉFÉRENCES
Blajenkova, O., Kozhevnikov, M., & Motes, M. A. (2006). Object-spatial imagery: a new self-report imagery questionnaire. Applied Cognitive Psychology, 20(2), 239‑263.
Fisher, R. P., & Geiselman, R. E. (1992). Memory enhancing techniques for investigative interviewing: The cognitive interview. Charles C Thomas Publisher.
Levine, B., Svoboda, E., Hay, J. F., Winocur, G., & Moscovitch, M. (2002). Aging and autobiographical memory: Dissociating episodic from semantic retrieval. Psychology and Aging, 17(4), 677‑689.
Madore, K. P., Gaesser, B., & Schacter, D. L. (2014). Constructive episodic simulation: Dissociable effects of a specificity induction on remembering, imagining, and describing in young and older adults. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition, 40(3), 609‑622.
Robin, J., Wynn, J., & Moscovitch, M. (2016). The spatial scaffold: The effects of spatial context on memory for events. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition, 42(2), 308.
Sheldon, S., Amaral, R., & Levine, B. (2016). Individual differences in visual imagery determine how event information is remembered. Memory, 25(3), 360‑369.