Les approches incarnées de la cognition postulent que l’expérience corporelle détermine en partie le fonctionnement cognitif. Le niveau de fatigue, le niveau de ” fitness ” (Proffitt, 2006) et même la quantité de ressources énergétiques à un instant précis (Schnall, Zadra, & Proffitt, 2010) influenceraient la perception de l’environnement de façon adaptée. Ainsi, la cognition dépendrait de différents paramètres physiologiques, notamment ceux cardiovasculaires.
Le fonctionnement cardiovasculaire, à travers les afférences du système nerveux autonome, peut influencer la cognition (Thayer, Hansen, Saus-Rose, & Johnsen, 2009) et particulièrement les fonctions socio-cognitives (Porges, 2007). Selon le modèle de l’intégration neuroviscérale (Thayer et al., 2009), la variabilité du rythme cardiaque est associée à l’activité de plusieurs zones cérébrales impliquées dans l’attention contrôlée, la mémoire, le traitement émotionnel et dans la gestion émotionnelle. Une haute variabilité du rythme cardiaque est associée à de meilleures performances cognitives, dont l’identification d’expressions émotionnelles faciales (Forte, Favieri, & Casagrande, 2019).
Une approche incarnée de la cognition permet de généraliser un tel effet au traitement de mots. Puisque le système nerveux autonome influence l’activité des zones cérébrales associées à des émotions négatives telles que le dégoût (insula) et la peur (amygdale), cet effet ne devrait être observé que pour ces émotions.
Pour cette étude, 21 jeunes adultes ont complété des questionnaires afin de contrôler différentes variables de santé pouvant influencer le fonctionnement cardiovasculaire ou la cognition. Ils ont ensuite réalisé une tâche de catégorisation émotionnelle de mots sélectionnés selon les normes de la base de l’Emotionalité des Mots selon l’Age (Gobin, Camblats, Faurous, & Mathey, 2017). Le signal cardiaque a été recueilli grâce à une montre spécialisée. Comme attendu, le RMSSD (paramètre de la variabilité du rythme cardiaque) explique significativement une portion de la variance des temps de réaction pour juger du caractère émotionnel ou non des mots associés au dégoût (β = -6.68, t(14) = -2.18, p < .05) et tendanciellement pour les mots associés à le peur (β = -5.20, t(14) = -1.86, p = .08). Aucun résultat significatif n’a été obtenu pour les mots neutres ou associés à la joie. Ainsi, la variabilité du rythme cardiaque, l’indice de l’adaptation cardiovasculaire reflétant l’activité du système nerveux autonome, prédit une meilleure catégorisation d’émotions pertinentes pour la survie (dégoût et peur), même pour des stimulus peu saillants émotionnellement (mots vs visages). En accord avec ces résultats, des interventions permettant l’amélioration de l’adaptation cardiovasculaire devraient améliorer le fonctionnement cognitif et notamment les aptitudes socio-cognitives. Une possible intervention serait la respiration lente et profonde augmentant, en une dizaine de minutes, la variabilité du rythme cardiaque (Russo, Santarelli, & O’Rourke, 2017). Si ce type d’intervention a des effets cognitifs positifs, alors cela soutiendrait l’hypothèse selon laquelle les paramètres physiologiques, possiblement grâce aux capacités d’actions qu’ils offrent, influencent la cognition et en particulier le traitement de l’information émotionnelle et sociale.